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La vie et l'oeuvre de Karl von Frisch par Cyrille Janisset. Projet de film documentaire

Martin LINDAUER

 

MARTIN LINDAUER

 

 

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Martin LINDAUER

Martin Lindauer (Photo Helga R. Heilmann)

 

 

 

Le 12 juin 1932, Karl von Frisch nous a quittés , après presque cent ans de vie comblée. Avec une clarté d'esprit entière, il a passionnément suivi, jusqu' à ses derniers jours, ce qui se faisait en zoologie et, notamment, dans la recherche sur les abeilles. Il avait conservé une activité scientifique jusqu' à sa dernière semaine. En effet, dans une dernière lettre du mois d'avril, il m'écrivit : "Ma propre production prend une autre forme. Ce que je viens de terminer, c'est l'histoire du Musée de Brunnwinkl, avec un guide de la collection". De plus, il ajouta : "T'ai-je écrit que le livre de notre oncle Sigmund Exner, sur l'œil composé, va sortir en deuxième édition ? C'est une traduction anglaise. J'en ai écrit la préface".

En tant qu'étudiant et ensuite collaborateur de ses expériences portant sur les abeilles, j'ai eu la grande chance de faire un long bout de chemin avec lui. Ces deux dernières décennies, ayant dû assumer la responsabilité d'un institut de zoologie avec quelques étudiants sous mes ordres, il fut pour moi un ami paternel. Après 17 ans de collaboration étroite, j'aimerai à rendre hommage à l'apidologue génial, mais aussi à l'ami de tous les entomologistes, qui était surtout fasciné par l'organisation des sociétés d'Insectes, nos excursions communes à Graz et Munich, pour lesquelles il avait déjà préalablement repéré les nids des abeilles solitaires, resteront inoubliables pour moi.

A cette occasion, les nids d'Osmla, d'Anthoshora ou de Megachlle me furent montrés. Il a consacré des chapitres détaillés aux abeilles solitaires dans ses livres "Architecture animale " et "Abécédaire des abeilles" . A plusieurs reprises , il a décrit les pas évolutifs menant de la vie solitaire à la formation de sociétés chez les abeilles solitaires. C'est ce qu'il fit au colloque "Structure et Physiologie des sociétés animales pendant lequel il se lia d'amitié étroite avec Grassé et Autuori. Malgré le fait que sa propre recherche s'est concentrée sur l'abeille domestique, ses capacités sensorielles et ses communications à l'intérieur de la société, il s'est toujours intéressé aux autres insectes sociaux et à leurs prédécesseurs dans l'évolution.

 

l'apidologue Karl von Frisch

Les grandes découvertes de la vision des couleurs chez les abeilles, de leurs exploits olfactifs, de leur orientation par boussole solaire et de la communication par danses ont ouvert de nouvelles portes à la science dans les domaines des performances sensorielles , de l'orientation et de la communication chez les animaux et ont enrichi notre savoir sur des points essentiels.

Ce que Karl von Frlsch a découvert est tellement admirable par le fait qu'il a dévoilé un monde des abeilles qui est totalement étranger à nos sens et à notre imagination; par exemple, que les abeilles ne voient pas le rouge, la perception d'une substance odorante émise sur une source de nourriture par une autre abeille, la vision de la lumière polarisée, l'orientation par boussole solaire et la communication par messages symboliques représentent des moyens de communication uniques dans le monde animal.

Karl von Frlsch a toujours su nous représenter de manière claire et simple les faits même compliqués, mais ce qui se lit aujourd'hui si aisément dans les livres n'est nullement tombé du ciel pour notre grand maître. Les joies de la découverte étaient rares et les déceptions fréquentes, et il a fallu Infiniment d'expérimentation patiente, de vérifications critiques, de rejets de belles théories et de spéculations pour obtenir des résultats sûrs.

Quelques exemples illustrent ce fait : En 1913, quand éclata la dispute avec le conseiller munichois C . Hess qui, en se basant sur des études anatomiques, avait prétendu que les abeilles ne percevaient pas les couleurs, Karl von Frisch a tenu d'en apporter la preuve en public et en plein air, pendant un congrès scientifique à Freiburg.

Tout a presque failli mal tourner : le congrès avait justement lieu à la Pentecôte, c'est-à-dire à l'époque de floraison maximale, et les abeilles avaient peu d'inclinaison à se laisser attirer par la place de nourrissage artificielle fournissant de l'eau sucrée. Il fallut donc détourner quelques "collectionneuses d'eau", mais celles-ci réagirent à merveille : non seulement elle repérèrent infailliblement la planche des différentes nuances de gris, mais après n'y avoir trouvé aucune nourriture pendant la durée du test, quelques-unes découvrirent le cahier de protocoles de Karl von Frlsch, dans lequel il avait esquissé un modèle du montage des assortiments de gris différents avec un champ bleu.

On raconte qu'une abeille a même heurté la cravate bleue d'un spectateur. Que les abeilles discernent les couleurs ne nécessite pas plus de preuves. Il a fallu pourtant parcourir un long chemin en commun avec les élèves pou rétablir, dans tous les détails, que les abeilles ne distinguent pas le rouge et qu' à l'autre extrémité du spectre, elles perçoivent l'U.V., ce qui est d'une grande importance dans l'exploitation des fleurs, pour permettre aux abeilles de mieux trouver le nectar.

 

Le chemin parcouru pour déchiffrer le langage des abeilles, c'est-à-dire la ronde et la danse frétillante, fut encore plus long et plus pénible. La ronde a d'abord été décrite en 1920, comme danse des collectrices de nectar. Karl von Frisch avait reconnu qu'elle avertissait les autres membres de la ruche tout en donnant une Information détaillée sur la rentabilité et la qualité de la source de nourriture. En plus, les espèces des fleurs visitées étaient communiquées par l'odeur ramenée avec le nectar et dans les poils à la ruche; ceci est important pour garantir la constance des abeilles pour une espèce qui est à son tour la condition même pour la fécondation croisée . Il a fallu plus de 20 ans pour élucider que la ronde n'est pas, comme on l'avait Interprétée d'abord, la danse des collectrices de nectar et la danse frétillante celle des collectrices de pollen, mais que la première indique les distances proches et la deuxième la distance et la direction d'objectifs lointains. Les premières indications furent apportées par des expériences de pilotage olfactif, rendues possibles par l'Union Allemande des Apiculteurs, qui sauvèrent, à cette époque là, Karl von Frisch du licenciement par les Services Publics.

En effet, son arbre généalogique n'avait pas satisfait le Ministère de la Culture de cette époque !

Dans le cadre des expériences d e pilotage olfactif, la table de nourrissage fut éloignée pour la première fois de la ruche en 1944, et on s'aperçut qu'à partir de 50 mètres la ronde était remplacée par la danse frétillante. Après beaucoup de travail patient, on observa comment la vitesse de la danse diminuait avec l'accroissement de la distance, et on constata qu'avec la table à lieu fixe, la direction de la danse se modifiait du matin au soir, exactement à la même vitesse que la variation de la position du soleil  dans le ciel.

Ainsi, l'interprétation des danses des abeilles était trouvée. Pendant 15 étés, j'ai pu participer aux expériences qui suivirent, effectuées à Gras , Munich et Brunnwinkl. A Graz, nous avons réussi à dresser les abeilles jusqu' à 12 kilomètres de distance, la danse frétillante était observée jusqu' à 10 km; c'est ainsi que nous avons établi la courbe exacte de la vitesse en fonction de la distance.

Mais la découverte la plus étonnante était que les abeilles réussissent, lorsqu'elles Indiquent une direction, à transposer l'angle entre la direction du vol et le soleil d'une paroi verticale dans la ruche sombre au champ de pesanteur. Même dans la ruche sombre, le soleil est pris comme point de repère, mais l'angle de danse, perçu par l'œil, est transmis au domaine sensoriel proprioceptif.

Cette découverte Intéresse encore de nos jours les neurologues, qui voudraient élucider comment le cerveau transpose fidèlement des informations arrivant aux voies sensorielles optiques dans un champ de pesanteur.

 

Je n'oublierai jamais le fanatisme de Karl von Frisch pendant son expérimentation; chaque jour d'été ensoleillé fut exploité; il se réveillait régulièrement à 4 heures 30 pour préparer les expériences, ensuite, il partait sur le terrain. A 5 heures du soir, les résultats étaient exploités, souvent cela se prolongeait jusqu' à minuit. Lorsque nous voulûmes dresser nos abeilles à des distances encore plus élevées, les journées froides de l'automne tardif à Brunnwinkl menacèrent de mettre une fin trop précoce à nos expériences. Quand la dernière abeille apparut à la table de nourrissage et tomba transie de froid à côté de l'écuelle servant au nourrissage, Karl von Frisch la prit dans la main et la ramena lui-même à la ruche, après l'avoir réchauffée de son haleine.

Comment aurait-il pu mieux prouver son enthousiasme pour la science, ainsi que son amour pour les abeilles ?

C'est probablement pour arriver à la conclusion que les abeilles utilisent la lumière polarisée du ciel bleu pour leur orientation qu'il a fallu surmonter le plus de difficultés et de fausses interprétations. Tout avait commencé par des danses d'abeilles à "mauvaise Indication". Karl von Frisch avait été frappé par le fait que les danseuses indiquaient, dans certaines circonstances, des directions fausses, avec jusqu'à 30° d'erreur par rapport au butin. Ceci arrivait toujours quand le soleil éclairait l'intérieur de la ruche ou quand l'abeille voyait le ciel bleu. Il est compréhensible que le soleil puisse distraire, puisqu'il s'agit du point de repère même pour indiquer la direction. Mais pourquoi le ciel bleu pouvait-il être perturbateur ? On pensa à des rayonnements de plusieurs sortes, ce qui mena à des impasses totales. Un indice déterminant fut apporté par le physicien de Graz, le Prof. Bendorf, qui s'était depuis toujours intéressé à la recherche sur les abeilles; il pensait que la lumière polarisée provenant du ciel bleu, dont l'Intensité et la direction de la vibration dépendent de la position du soleil, pouvait renseigner les abeilles sur l'emplacement de celui-ci. Cette supposition a été vérifiée par "l'expérience du tuyau de poêle", qui  est classique.

Elle est basée sur le fait suivant : chaque apiculteur sait que pendant les journées d'été chaudes, les butineuses dansent parfois sur la planchette d'envol ; elles le font de même si l'on sort un rayon avec des abeilles qui dansent et qu'on le pose à l'horizontale . A ce moment-là, l'angle entre la direction de vol et le soleil ne peut plus être transposé dans le champ de pesanteur, la danse frétillante est pointée directement vers le but, et le soleil, ou le ciel bleu doivent être visibles. En effet, l'abeille danse dans la même direction par rapport au soleil que pendant le vol vers la place de nourrissage. Par ciel couvert, ou sous une tente, les danses sur surface horizontale étaient totalement confuses et désorientées.

Cependant, il suffisait d'enfoncer un tuyau de poêle à travers le toit de la tente, pour permettre à la danseuse de voir le ciel bleu, et la danse frétillante était immédiatement orientée correctement; si l'on montrait à l'aide d'un miroir le ciel au sud à la place du ciel au nord, la danse s'Inversait. Nous reçûmes alors une lame polarisante d'Amérique , qui était alors déjà utilisée comme dispositif anti-éblouissant pour les pare - brises des voitures. Karl von Frisch la posa sur la ruche mise à l'horizontale et put faire danser les abeilles dans chaque direction voulue en faisant tourner la lame.

 

Je possède une lettre précieuse dans laquelle il me communique avec grande joie cette découverte, qui était en fait la preuve définitive que les abeilles percevaient la lumière polarisée et que la lumière polarisée du ciel bleu leur servait de repère pour la direction de leurs danses .

Ce que nous admirons actuellement, là où les sciences naturelles exigent tellement d'équipement technique, ce sont les moyens simples avec lesquels cette recherche révolutionnaire a été accomplie : une petite ruche d'observation avec des abeilles, une table de nourrissage avec de l'eau sucrée, un tuyau de poêle et une lame polarisante ont été suffisants pour résoudre des problèmes délicats. Grâce au génie, à la clarté des expériences et à la volonté farouche d'élucider une erreur présumée et un écart à la règle, de nouveaux débouchés furent trouvés.

Karl von Frisch nous a laissé un héritage important. Nous ne devons pas le considérer uniquement comme un cadeau, au contraire, nous avons le devoir de continuer à travailler avec les résultats qui ont été la base si large et solide de la physiologie sensorielle et qui ont donné une orientation et un essor neufs à la sociobiologie . Ainsi, notre grand maître et ami survivra à travers ses idées, son esprit de recherche et son amour pour les abeilles, pour les insectes en général et pour tout ce qui vit sur cette Terre.

 

                                                                                                                                                          Martin Lindauer  - 1983

                                                                                                                                       

                                                                                                                                                                                                                                            Martin LINDAUER 

(traduction Bettina Seeger , musée zoologique . Pl . Rlponne 6 , CH - 1005 - Lausanne) * publié dans lns. Soc. 30 : 3-8 , .1983

 

 

 

 

Martin LINDAUER 

Lindauer, au printemps 1951, à une source d'eau artificielle qu'il a installée. Ici, il a étiqueté pour l'identification individuelle les collecteurs d'eau de sa colonie d'étude

 

 

... personne extrêmement exigeante. Il se souvient comment von Frisch a une fois renvoyé un étudiant de l'aide à une expérience après que cet étudiant ait mal lu le nombre d'une abeille 6 1993, p 15. Peut-être que l'habitude de recherche la plus importante que Lindauer a apprise de von Frisch était d'être aussi critique que possible de son propres résultats. von Frisch a dit un jour à Lindauer : « Vous devez imaginer que lorsque vous êtes assis là, en train d'effectuer une expérience, il y a quatre autres personnes assises autour de vous qui tentent de critiquer ce que vous faites. »

L'une des habitudes de recherche les plus importantes de von Frisch est venue naturellement à Lindauer : chérir les cas où les animaux se comportent de manière inattendue, car de tels événements peuvent être des indicateurs pointant vers des découvertes importantes. Le fait de voir que son estimé mentor partageait cette approche a aidé Lindauer à développer sa confiance en ses propres instincts de scientifique. Il se souvient, par exemple, avoir été avec von Frisch à l'été 1948 lorsque von Frisch a déplacé une ruche d'observation de sa position verticale normale à une position horizontale et ils ont été surpris de voir que des abeilles dansant sur un rayon horizontal pouvaient indiquer la direction d'un source de nourriture, en dansant droit vers le but. Mais ce qui était vraiment étonnant, c'est ce qu'ils ont observé lorsque le soleil a été soudainement caché par des nuages ​​: les abeilles ont continué à exécuter des danses correctement orientées ! Ils savaient à ce moment-là que le soleil était le point de référence des abeilles, alors ils s'attendaient à ce qu'obscurcir la vue des abeilles sur le soleil entraînerait des danses désorientées.

Voir que les abeilles pouvaient orienter leurs danses sans voir le soleil, juste un morceau de ciel bleu, était déroutant et, à l'époque décevant. Mais en prenant au sérieux ce comportement déroutant des abeilles, von Frisch a découvert la capacité de l'abeille à s'orienter vers le modèle de polarisation de la lucarne. Cette expérience a renforcé la tendance naturelle de Lindauer à laisser des observations déroutantes guider son travail scientifique. La première recherche que Lindauer a poursuivie à Graz était sa célèbre étude de la division du travail dans les colonies d'abeilles mellifères (Lindauer 1952).

Dans ce choix de sujet de recherche, nous retrouvons l'intérêt personnel de Lindauer à comprendre comment une colonie d'abeilles, et pas seulement une seule abeille, fonctionne comme une unité adaptative. Son point de départ était deux articles publiés dans les années 1920 par G.A. Rösch, l'un des premiers doctorants de von Frisch (Rösch 1925, 1927). Lindauer rappelle que ces papiers ne lui plaisaient pas, car ils suggéraient une dépendance rigide du comportement d'un ouvrier à son âge, mais il sentait qu'une colonie a besoin de flexibilité dans l'organisation de son travail.

Au cours de ses recherches de thèse, il avait remarqué que les conditions à l'intérieur et à l'extérieur d'une ruche changent constamment, il a donc senti qu'une colonie devait avoir un problème pour maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande de main-d'œuvre pour chaque tâche. Il savait que le nombre d'ouvriers nécessaires pour les tâches de collecte et de stockage du nectar, par exemple, peut changer du jour au lendemain avec les changements de temps et de fleurs. Si ce que Rösch avait rapporté était strictement vrai, alors une énigme était de savoir comment une colonie pouvait avoir de la flexibilité dans sa force de travail ? Une autre était de savoir comment les individus pouvaient-ils rester informés des besoins en main-d'œuvre de leur colonie ? Pour répondre à ces questions, le 5 juillet 1949, Lindauer a étiqueté une abeille ouvrière (numéro 107) lors de son émergence au sein d'une colonie logée dans une ruche d'observation, puis a patiemment observé cette abeille chaque jour, pendant près de 8 h par jour, pour le reste de son vie. Elle est morte dans un orage à l'âge de 25 jours.

À partir de ces observations, et d'autres semblables, Lindauer a découvert que bien que les travailleurs adhèrent généralement au « horaire de travail » rapporté par Rösch, ils changent facilement de tâche pour pourvoir les postes vacants. Il a également observé que chaque abeille ouvrière passe environ un tiers de son temps à patrouiller dans la ruche et recueille ainsi, évidemment, des informations sur les besoins en main-d'œuvre en constante évolution de sa colonie. Tout aussi important, il a appris que chaque abeille passe environ un autre tiers de sa vie debout. Il a reconnu que certaines abeilles travaillaient sans aucun doute même en se tenant debout, générant peut-être de la chaleur, synthétisant de la cire ou sécrétant de la nourriture larvaire. Cependant, il a suggéré que même si beaucoup de ces abeilles flânent, ils sont essentiels au bien-être d'une colonie en fournissant la main-d'œuvre supplémentaire nécessaire pour gérer soit une opportunité rentable (par exemple, une riche parcelle de fleurs) soit un problème d'urgence (par exemple, un nid surchauffé). Cette étude de Lindauer est un classique. Non seulement cela a fourni des informations importantes sur l'organisation du travail dans les colonies d'insectes sociaux, où chaque travailleur est son propre informateur et chef, mais cela a également soulevé des questions importantes qui défient les sociobiologistes des insectes à ce jour.

Quelles informations un travailleur acquiert-il en patrouillant ? Dans quelle mesure les travailleurs inactifs ne travaillent-ils vraiment pas ? Pourquoi les colonies ont-elles un contrôle décentralisé de leurs travailleurs ? En observant l'abeille 107, Lindauer a fait une observation qui l'a conduit à sa prochaine ligne d'étude, sur la façon dont une colonie contrôle sa consommation d'eau pour la thermorégulation (Lindauer 1954) (Fig. 3).

Il avait besoin de chauffer la ruche d'observation dans laquelle vivait l'abeille 107, car la pièce abritant cette ruche à l'Institut zoologique était fraîche, surtout la nuit. Il l'a réchauffé avec une lampe. Un soir, alors qu'il plaçait la lampe trop près de la ruche, il s'aperçut que les abeilles se fouettaient la langue et en retiraient une pellicule de liquide. De plus, les abeilles répandaient du liquide sur les surfaces des rayons, en particulier au niveau des ouvertures des cellules à couvain. Ces comportements lui ont suggéré qu'une façon pour les abeilles de faire face à une surchauffe de leur ruche est d'extraire le liquide de la culture et de l'utiliser pour le refroidissement par évaporation. Il s'est demandé comment une colonie maintient-elle son approvisionnement en eau (fourni par des collecteurs d'eau travaillant à l'extérieur de la ruche) en équilibre avec sa demande en eau (créée par des épandeurs d'eau travaillant à l'intérieur de la ruche) ? En étiquetant les collecteurs d'eau d'une colonie vivant dans une ruche d'observation, et en les observant en action, il a découvert que ces abeilles, tout comme les collecteurs de nectar qu'il avait étudiés dans sa recherche de thèse, sont parfois déchargées rapidement par deux ou trois abeilles qui mendient orageusement pour l'eau, et d'autres fois sont déchargés par une seule abeille qui ne fait que siroter l'eau. Il a également remarqué que les différences de temps de déchargement étaient associées à des différences de comportement des collecteurs d'eau : lorsqu'ils étaient déchargés rapidement et avec empressement, ils dansaient et recrutaient ainsi des collecteurs supplémentaires ; lorsqu'ils étaient déchargés avec une vitesse et un enthousiasme modérés, ils quittaient la ruche pour aller chercher plus d'eau mais ne dansaient pas ; et lorsqu'ils sont déchargés lentement, ils ont complètement cessé de collecter. De ces observations, il a produit sa célèbre figure (Fig. 4) cela a été le tremplin de nombreuses études empiriques et théoriques sur la façon dont les délais d'attente sont utilisés pour contrôler les processus dans les colonies d'insectes sociaux (examiné dans Anderson et Ratnieks 1999 ).

Ainsi, à nouveau, on voit comment Lindauer a laissé venir à lui une question importante pendant qu'il étudiait les abeilles, comment il a abordé cette question en commençant par des observations patientes, et comment finalement il a produit une avancée conceptuelle précieuse. La troisième des trois études sociobiologiques que Lindauer a commencées à Graz était son étude de la chasse aux maisons par les essaims d'abeilles mellifères (Lindauer 1955a).

En réfléchissant sur le travail de sa vie, Lindauer déclare "Je dois remercier les essaims d'abeilles pour la plus belle expérience dans tous mes projets." À ce jour, le travail de Lindauer sur la façon dont un essaim d'abeilles mellifères choisit un foyer fournit la preuve la plus claire et la plus solide que les groupes d'animaux, et pas seulement les organismes, peuvent être des unités adaptatives. Ce projet a commencé lorsque Lindauer a trouvé accidentellement un essaim qui avait quitté l'une des ruches que l'Institut zoologique gardait pour la recherche. Avant que l'apiculteur n'arrive et ne reloge l'essaim, Lindauer a regardé les abeilles danser à la surface de l'essaim. Il remarqua que ces abeilles étaient un peu étranges, car aucune ne transportait beaucoup de pollen et aucune ne s'arrêtait pour décharger le nectar. Au lieu de cela, ils ont dansé indéfiniment sans interruption. De plus, il a vu que certaines des abeilles dansantes étaient couvertes de poussière de brique rouge et que d'autres étaient pleines de suie et sentaient le ramoneur. Il a alors compris que ces abeilles, qui n'avaient certainement pas visité les fleurs mais avaient manifestement exploré les cavités murales et les cheminées, pourraient être des éclaireuses impliquées dans la recherche d'un foyer pour l'essaim. (Au départ, il se référait à ces individus non pas comme des abeilles éclaireuses mais comme des intendants, analogues aux individus chargés de trouver un abri pour une armée.) 

Lindauer a demandé à l'apiculteur de l'institut de laisser l'essaim pendre là, afin qu'il puisse continuer ses observations, mais elle a dit "C'est hors de question, nous avons besoin de cette colonie." von Frisch l'a soutenue. Mais après une longue demande, Lindauer a obtenu la permission de von Frisch de laisser un essaim pendre sans être dérangé, afin qu'il puisse regarder ce qui se passe plus loin. Lindauer a observé que le 1er jour, les éclaireurs ont dansé pour des sites dans différentes directions, mais que vers midi le 2e jour, tous les éclaireurs dansaient dans une direction pour un site au nord, à environ 1,5 km. Peu de temps après, l'essaim a décollé et a effectivement commencé à voler vers le nord vers son futur foyer 7 . À l'été 1950, Karl von Frisch retourne à Munich pour occuper le siège qu'il avait laissé vacant 4 ans plus tôt. L'une des raisons pour lesquelles il a décidé de revenir à Munich était que l'Institut zoologique avait été remis en état de marche avec une rapidité surprenante, en partie grâce au plan Marshall qui avait fourni de l'argent pour la première étape critique de la restauration du toit. Une deuxième raison était qu'en 1949 von Frisch avait fait une tournée de conférences aux États-Unis et cela avait produit un généreux soutien financier de ...

 

                                                     BIOGRAPHIE de MARTIN LINDAUER              

                                                                                                                     

 

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